Une menace prise très au sérieux par les États-Unis.

internet

Au commencement les États-Unis créèrent ARPANET en 1968, puis ARPANET s’est développé. Un splinternet solderait la fin d’un réseau unique, universel, et libre, pour laisser place à plusieurs internet épousant les frontières des États. Elle peut simplement désigner l’interdiction pour des raisons politiques ou commerciales de certains sites ou services sur Internet, rendant l’expérience de navigation différente d’un pays à l’autre. Au sens plus large, elle englobe des aspects techniques, prenant en compte les capacités technologiques d’un État à mettre en place son propre réseau, indépendant d’Internet.

 » Il pronostique, pour l’avenir, « une bifurcation entre un internet dirigé par les Chinois et un internet non chinois dirigé par l’Amérique”. Loin de l’idéologie libertarienne des créateurs des applications fondatrices d’internet, ce réseau, bien que décentralisé, est dominé par les États-Unis. Une domination remise en cause par la Chine, mais aussi la Russie, l’Union européenne, dans une moindre mesure par l’Inde, et d’autres. Aujourd’hui une question anime un grand nombre de gouvernements, celle de leur souveraineté sur leur internet et ce qui l’entoure.

 » Cette question est plus connue sous l’expression « souveraineté numérique”, un terme fourre-tout de nouveau, comprenant les activités technologiques et économiques liées de près ou de loin à internet.  » La conséquence directe de cette volonté de maîtriser son morceau de cyberespace est ce qui entraîne le « splinternet”, forcément au désavantage de l’influence américaine historique sur le réseau. Plus de 20 ans plus tard, l’idéal de John Perry Barlow, un réseau géré de façon purement technique est loin.

Les manifestations de la puissance américaine sur internet

Les États-Unis ont initialement développé ce réseau dans un but militaire, un héritage qui leur a donné une longueur d’avances pour en comprendre les enjeux et les avantages à en tirer.

La puissance de l’ICANN sous tutelle du gouvernement américain jusqu’à 2016

La France, et tous les autres gouvernements du monde ne maîtrisent pas totalement le nom de domaine attribué à leur pays.  » Cette organisation est très importante puisque sa mission est de « coordonner, à un niveau général, les systèmes mondiaux d’identificateurs uniques d’Internet et notamment d’en assurer la stabilité et la sécurité d’exploitation”. Théoriquement, l’ICANN a le pouvoir de supprimer le nom de domaine attribué à un pays. Un grand pouvoir, nécessaire pour le bon fonctionnement du réseau, mais qui a tendance à faire grincer des dents depuis les années 2000.

Certes, la Commission européenne a validé la création de l’ICANN. Elle a des représentants en son sein et l’ICANN, comme les autres organisations fondamentales d’internet, prend ses décisions par consensus.  » À l’époque, un diplomate français laissait transparaître sa frustration, précisant que « pour les paramétrages du « .fr”, il faut l’accord du gouvernement américain ».  » Indirectement, les États-Unis pouvaient rayer les domaines « .fr” du web.

 » En 2005, alors que le nombre de noms de domaines explose, l’ICANN a renoncé à créer le domaine « .xxx”, dédié aux sites pornographiques du monde entier. Parce que des organisations conservatrices américaines ont fait pression sur le Département du commerce.

Une maîtrise de l’aspect physique d’internet

Historiquement, il existe 13 de ces serveurs racines dans le monde, et 10 se trouvent aux États-Unis. Il représente l’une des manifestations qu’Internet n’est pas seulement immatériel, mais bien basé sur des infrastructures et les États-Unis en sont au centre. En 2018, la NSA estimait que 80% des données qui transitent dans le monde passent par les États-Unis. On en compterait pas moins de 1910 aux États-Unis, pour 4500 sur la planète.

Les GAFAM : symboles modernes de l’hégémonie américaine sur internet

Les détails techniques du fonctionnement d’internet sont globalement peu connus. En voulant accéder à Internet c’est bien souvent celui de Google qui apparaît, en voulant se connecter à un réseau social, celui de Facebook ou l’un de ses services. Une omniprésence qui effraie jusqu’au pays qui les a vus naître, où des procédures antitrust sont en cours, notamment pour Facebook, et Google. Pourtant, les GAFAM sont le résultat d’une politique volontariste, et n’existent pas par hasard.

 » Pour le chercheur en cyberstratégie Laurent Bloch, « les géants de la Silicon Valley Tech doivent une grande partie de leur pouvoir à la puissance des États-Unis et aux énormes investissements publics, depuis des décennies, dans les secteurs de la haute technologie ”.

Les pays autoritaires veulent façonner leur internet, loin de l’influence américaine

Les premiers d’entre eux sont les pays autoritaires, hostiles à l’influence américaine, et peu enclins à accepter un réseau de communication libre et non contrôlé sur leurs territoires. Fin 2019, le pays s’est délibérément coupé du réseau mondial. Le but de l’opération était de tester un réseau natif russe, parallèle à Internet, appelé Runet. Conséquence d’une loi votée par le parlement russe en mars 2019 sur la souveraineté d’internet.

Dans son intervention de 2018, Eric Schmidt ne croit pas à ce scénario, celui de l’apparition d’Internets parallèles, par pays. Une mesure protectionniste, appliquée à Internet. Pour une raison simple, même les pays autoritaires ont besoin pour commercer, échanger, avec les autres pays, de rester sur un réseau commun, de le garder interopérable avec le reste du monde. Ce n’est pas pour rien si les États-Unis mènent une guerre économique contre la Chine.

Ce conflit commercial concerne de nombreux secteurs de l’économie, mais médiatiquement c’est celui des nouvelles technologies liées à Internet qui occupe toute la place. L’interdiction de ces entreprises aux États-Unis n’est rien d’autre qu’une manifestation d’un splinternet à la sauce américaine, dans le but de conserver un leadership historique.

La montée en puissance technologique de la Chine

La Chine a décidé de mener très tôt une politique d’indépendance sur internet vis-à-vis des États-Unis. Ironiquement, comme aux États-Unis, la Chine réfléchit à prendre des mesures antitrust contre ses champions. Jusqu’en 2018, sans VPN, un Occidental perdait vite ses repères sur l’internet chinois. Huawei s’est rapidement imposée comme l’entreprise leader de la nouvelle norme de réseau mobile à travers le monde.

Une prépondérance technologique insupportable pour les États-Unis, alors que le pays ne compte aucune entreprise capable de rivaliser avec Huawei. Il a multiplié, avec succès, les initiatives pour empêcher les alliés des États-Unis de s’équiper avec du matériel ZTE ou Huawei. Les États-Unis ne s’y sont pas trompé en plaçant sur liste noir l’entreprise Semiconductor Manufacturing International Corporation . Très conscient de cet angle mort, le pays multiplie les investissements à coup de centaines milliards de yuans pour refaire son retard.

Sur le plan institutionnel et de la normalisation d’Internet, l’Empire du Milieu renforce également son influence. Cette branche des nations unies a dans son champ de compétence la normalisation d’Internet. Cette proposition, très controversée, pourrait mettre fin à l’anonymat sur internet en centralisant le réseau et en permettant d’identifier et bloquer une adresse IP si elle était adoptée.  » Pour Eric Schmidt cela ne fait pas de doute, « regardez la façon dont l’IRB fonctionne – son initiative « Belt and Road » , qui implique une soixantaine de pays – il est tout à fait possible que ces pays commencent à adopter les infrastructures dont dispose la Chine avec une certaine perte de liberté”.

La rivalité entre la Chine et les États-Unis pour la place de première puissance mondiale ne doit pas occulter les innombrables exemples d’initiatives entrainant une balkanisation d’Internet.  » Dans une liste publiée en 2003, actualisée en 2016, Reporter sans frontière recensait « 15 ennemis d’internet”. La Birmanie, Cuba, l’Iran, la Syrie sont mentionnés pour censurer parfois des centaines de milliers de sites sur leur internet sans parler de la Corée du Nord. Récemment, la Biélorussie, qui a connu des manifestations à la suite de la réélection très controversée d’Alexandre Loukachenko, a carrément bloqué ou limité à plusieurs reprises le réseau en août et septembre 2020.

Chaque pays censurant des sites ou services internet s’engage de fait dans un splinternet. La nouveauté c’est la mise à niveau technique de la Chine, capable de soutenir ces pays et de servir de contre modèle crédible à l’internet issu des États-Unis.

La recherche de souveraineté numérique des démocraties sur internet

Le concept de splinternet est particulièrement pertinent pour les pays réputés autoritaires, du fait de la censure. Une erreur pour les libertariens et leur vision purement technique d’internet. Les pays réputés libres et démocratiques suivent la voie de la souveraineté numérique. Une expression à la mode qui désigne à la fois une volonté de contraindre les acteurs numériques américains à se soumettre aux lois locales, et le désir de se donner les moyens d’une indépendance économique et industrielle sur internet.

En somme, un splinternet doux, se déployant à la fois au sein et contre la sphère d’influence numérique Américaine.

Le jeu d’équilibristes de la plus grande démocratie du monde

En Inde, internet se développe à vitesse grand V. Des progrès ouvrant la porte à un alléchant et immense marché pour les entreprises du numérique. L’Inde a cette spécificité d’être prise entre les deux sphères d’influence concurrentes, proche géographiquement de la Chine et observée avec avidité par les sociétés américaines. Le pays semble déjà avoir fait son choix. Un vieux conflit frontalier avec la Chine dans l’Himalaya s’est réchauffé en juin 2020.

En 2016 le gouvernement a par exemple empêché Facebook, dont l’Inde est le premier pays en termes d’abonnés, à mettre en place Free Basics, une offre internet gratuite. Une autre loi impose de localiser les données de paiement dans le pays. Par ces mesures l’Inde protège son internet d’une trop grande influence des entreprises américaines. Le pays pourrait être enclin, par cette stratégie de se donner les moyens de faire émerger son propre géant technologique, l’entreprise de télécommunication Jio Reliance, activement soutenue par son gouvernement et bénéficiant de plusieurs investissements des GAFA.

Le réveil du Vieux continent ?

L’Union européenne est moquée depuis longtemps pour son incapacité à dépasser ses divisions intestines, à adopter des stratégies globales pour prendre son indépendance vis-à-vis des États-Unis. Dans l’immédiat, la seule réponse technique est l’installation d’un câble sous-marin entre le continent et le Brésil, à l’initiative de ce dernier, en 2014, pour éviter le passage par les États-Unis. Encore aujourd’hui, les réponses aux pressions américaines pour ne pas s’équiper en matériel Huawei ou ZTE pour la 5G ont été totalement dispersées selon les États-membres. Le Portugal veut profiter de sa présidence du Conseil de l’Union commencée le 1er janvier pour inciter l’Europe à déployer un réseau de câbles sous-marins plus autonome des États-Unis.

Par ailleurs 13 pays européens ont exprimé leur volonté d’investir dans le domaine des semi-conducteurs, toujours en vue de réduire la dépendance de l’Union aux États-Unis dans ce secteur industriel fondamental. Une limite qui empêche, pour le moment, l’UE de se présenter comme une troisième voie crédible entre les États-Unis et la Chine dans la balkanisation actuelle d’Internet. Sur le plan technique, de plus en plus d’États considèrent hautement stratégique de se doter d’entreprises nationales du numérique pour parer le risque de dépendance technologique. Les États-Unis conservent une place largement prépondérante sur Internet, grâce à son héritage historique, ses capacités technologiques, son statut de première puissance mondiale, et la domination de ses entreprises commerciales.

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